Tipasa de Maurétanie
Entre Alger et Cherchell, le site de Tipasa occupe une situation exceptionnelle dès la plus haute antiquité, lieu de passage et de relais, à la fois sur la route maritime des caboteurs et sur la route côtière qui fut le grand axe de la circulation en Maurétanie, pendant des siècles ; à dater de l'annexion par les Romains, au milieu du I° siècle, Tipasa dépend de Iol-Caesarea (Cherchell), capitale administrative de la Province de Maurétanie césarienne, qui s'étend de l'Oranais actuel jusqu'à l'Oued el Kebir (l'antique Amsaga), et en 46, l'Empereur Claude accorde à Tipasa un statut municipal, avec octroi du droit latin (jus Latii). La seconde moitié du II° siècle marque l'apogée de la civilisation urbaine, comme dans toute l'Afrique du Nord antique ; Tipasa devient colonia Aelia Tipasensis et reçoit toutes les prérogatives de la citoyenneté romaine.
Après l'apparition du christianisme au début du III° siècle et le martyre de Sainte Salsa, l'autorité impériale s'effrite dans la province de Maurétanie ; c'est pourtant alors que la cité de Tipasa connait son plus grand développement, avec un chiffre de population qui pourrait ne pas être loin de 20 000 habitants.
L'ensemble des vestiges antiques de Tipasa est loin de présenter l'unité et la cohésion qui font de Djemila et de Timgad, par exemple, des sites clairs et immédiatement lisibles pour le visiteur ; la raison est double : l'ensevelissement du squelette de pierre de la ville sous une masse importante de sédiments alluvionnaires, de plus de quatre mètres à certains endroits, sur lesquels a été construit le village moderne ; le souci de préserver le paysage : les monuments mis au jour — cernés par la mer, investis par les lentisques et les armoises — surgissent dans un cadre naturel dont on a voulu conserver le charme naturel. C'est ainsi que se présente la grande nécropole, centrée par la basilique funéraire de Sainte-Salsa ; de même le parc archéologique permet de découvrir successivement l'amphithéâtre, le temple auquel il est adossé, le decumanus maximus, le temple anonyme, le nouveau temple, le cardo, la villa des fresques ; plus loin, par un sentier montant, cheminant à travers le maquis, l'on arrive à l'ensemble constitué par le Forum et la Basilique Judiciaire ; ailleurs ce sont les ruines d'une salerie de poissons ou d'une fabrique de garum ; les petits Thermes, la Grande Basilique, le Baptistère, la Nécropole de l'Ouest, le théâtre, le Nymphée, enfin les grands Thermes dont la superficie égalait celle de l'amphithéâtre.
Ainsi Tipasa constitue un des sites les plus spécifiques de l'Afrique antique ; la romanité y a sa large part et a finalement imposé son uniforme : forum et basilique, temples et théâtre, églises et baptistère ; cependant la vie et la culture ont commencé ici tôt, avec les navigateurs et les marchands phéniciens (dont les traces sont encore révélées par les fouilles récentes) pour se continuer avec les dynasties berbères des royaumes maurétaniens, pour lesquelles le « Tombeau de la Chrétienne », tout proche, témoigne orgueilleusement.
1 : Amphithéâtre
2 : Temple anonyme
3 : Nouveau temple
4 : Vestiges de l'enceinte primitive
5 : Forum
6 : Capitole
7 : Curie
8 : Basilique judiciaire
9 : Maison particulière
10 : Villa des fresques
11 : Etablissement industriel
12 : Petits thermes
13 : Thermes privés
14 : Grande basilique chrétienne
15 : Tour et poterne
16 : Hypogées
17 : Mausolée circulaire
18 : Basilique 'Alexandre
19 : Catacombes des évêques et
enclos des martyrs
20 : Théâtre
21 : Nymphée
22 : Répartiteur des eaux
23 : Mausolée
24 : Grands thermes
25 : Basilique Saint Pierre et Saint
Paul
26 : Basilique de Sainte Salsa
27 : Carrière romaine
Amphithéâtre (1) :
Au Sud-Ouest des thermes, on rencontre les ruines, très mal conservées, de l'amphithéâtre. Le grand axe est orienté du Sud-Ouest au Nord-Est ; il mesure environ cent mètres de longueur. Le petit axe a à peu près quatre-vingt-cinq mètres de long. Cet édifice était construit en blocage, avec les piédroits et les arcades en pierres de taille. A l'extrémité du grand axe, au Sud-Ouest, on reconnaît l'emplacement d'une des portes principales : au Nord, un escalier. La construction de cet édifice est assez mauvaise (III° siècle environ).
Temple anonyme (2) - Nouveau temple (3) :
Un peu plus loin, le temple anonyme et le nouveau temple - sur lequel fut superposée plus tard une basilique chrétienne -, entourés de portiques, étaient séparés par le decumanus qu’ouvrait un arc monumental.
Théâtre (20) :
Son état actuel ne confère pas au théâtre de Tipasa le prestige de ceux qui ont eu moins à souffrir. Sa taille lui donne, à première vue, une place honorable en Afrique ; il mesure environ 73 mètres dans sa plus grande largeur, mais ce chiffre considérable est dû à l'existence des deux massifs qui augmentent la largeur de la cavea et à l'extension corrélative des annexes de la scène. Ces éléments insolites faussent la comparaison avec les autres théâtres d'Afrique ; si l'on opère la rectification, on obtient pour la cavea une largeur maximum d'environ 64 mètres, soit sensiblement la même qu'à Djemila (62 mètres), Dougga (63,50 mètres), Timgad (63,60 mètres), Khemissa (64 mètres). Le théâtre de Guelma a 58 mètres large, celui de Philippeville 82,40 mètres ; ceux de Sabratha et de Bône, les plus vastes d'Afrique, 92,60 mètres et 100 mètres.
Le théâtre est un des quelques théâtres antiques d'Afrique construits en plaine, selon la tradition romaine originale : la moitié extérieure de la cavea est supportée par des voûtes reposant sur
des murs qui délimitent de longues chambres : quatre d'entre elles comportent des escaliers d'accès aux gradins. Les spectateurs pénétraient donc soit par les entrées latérales traditionnelles,
soit par l'arrière de la cavea qui constituait ainsi une façade d'entrée, de hauteur considérable.
Une particularité de Tipasa est l'existence, aux deux extrémités de la cavea, de deux fort massifs semblant dessiner, avec la façade, deux départs à peu près symétriques de
galerie circulaire, mais s'interrompant de chaque côté à la hauteur du premier escalier.
A Tipasa, d'ailleurs, quel que fût l'emplacement choisi, il n'était guère possible, comme dans tant d'autres villes, d'épargner les massives substructions de la cavea car, si la
côte est abrupte et le relief assez vigoureux autour du site antique, la surface intérieure aux remparts présente peu de dénivellations suffisantes, sauf tout à fait en bordure de la mer, et
surtout peu ou pas de dénivellation importante juxtaposée, selon une heureuse exposition, à un espace plat. C'est donc une quasi-nécessité qui a amené la construction de toutes pièces, en un
terrain aplani pour la circonstance. La solution comportait l'avantage de permettre le choix d'une exposition excellente : le théâtre est orienté vers le Nord-Nord-Ouest, répondant ainsi aux
prescriptions de Vitruve : les spectateurs ne peuvent avoir le soleil en face.
Cardo - Etablissement industriel (11) :
A proximité du cardo, ruine d’une fabrique avec des cuves (dolia) où l’on conservait les denrées : peut-être s’agissait-il d’une « salerie » de poissons ou d’une fabrique de garum (sauce épicée à base de poisson).
Grande basilique chrétienne (14) :
La grande basilique chrétienne (Ras-el-Knissa) de Tipasa est une des plus vastes d'Afrique : elle mesure en effet jusqu'à cinquante-deux mètres de long sur quarante-sept mètres de large. Elle était divisée en sept nefs ; à une basse époque, deux rangées de colonnes ont été ajoutées dans la nef centrale qui, trop large, menaçait sans doute de s'écrouler. Ce n'est plus malheureusement qu'une ruine très mal conservée, enlaidie de plus par d'odieuses restaurations : le mur, en sa partie la plus élevée — l'angle Nord-Ouest — ne dépasse pas quatre mètres ; il est presque au ras du sol sur la face Sud. Les colonnes ont disparu ; seules des bases, disparates d'ailleurs et irrégulièrement disposées, indiquent leurs emplacements. L'abside, enfin, a été en grande partie emportée par la mer qui ronge la falaise. La basilique est irrégulière. L'architecte, gêné à la fois par le mur énorme qui protégeait la cité depuis le I° siècle de notre ère et qui gravit la colline par la ligne de plus grande pente et, à l'Est, par la falaise, haute et très abrupte en cet endroit, a voulu néanmoins construire le plus vaste édifice possible : il a élevé l'abside immédiatement au bord de la falaise, en la soutenant par de « forts soubassements en pierre et en blocage » ; il n'a pas construit le mur de façade parallèlement au mur où s'ouvre l'abside : à l'extérieur, le mur Sud a cinquante-deux mètres ; le mur Nord, à l'extérieur également, n'en a que quarante-cinq. Cette étrange asymétrie, fréquente dans les monuments chrétiens de Tipasa, s'explique évidemment ici par l'adaptation au terrain d'un plan préétabli.
Basilique de Sainte Salsa (26) :
A l'autre extrémité de la ville de Tipasa, tout à fait vers l'Est, hors de l'enceinte cette fois et au milieu même d'un grand cimetière chrétien, s'élève une autre église moins grande, mais mieux construite et plus célèbre que la grande basilique, celle qui fut consacrée à une jeune martyre locale, Sainte Salsa.
La passion de Sainte Salsa
Les parents de la sainte, habitants de Tipasa, en Maurétanie, étaient restés attachés au paganisme, mais Salsa avait reçu le baptême et quoiqu'elle fût âgée à peine de quatorze
ans, elle était animée d'une foi enthousiaste. Il n'y avait qu'un petit nombre de chrétiens à Tipasa, cependant les persécutions avaient cessé. Les cultes païens n'étaient plus
célébrés officiellement ; sur la colline des temples, qui dominait la ville de Tipasa et formait un cap dans la mer, les sanctuaires des dieux et des empereurs divinisés
tombaient en ruines. On n'y adorait plus qu'un dragon de bronze à tète dorée. Un jour, les parents de Salsa l'emmenèrent à une fête qui se célébrait en ce lieu. La jeune fille, qui y était allée
malgré elle, fut prise d'indignation en voyant les sacrifices, les réjouissances impures, les danses, les contorsions fanatiques des idolâtres. Elle leur adressa des reproches : ils se moquèrent
d'elle. La fête terminée, ils s'endormirent, ivres. Salsa en profita pour saisir la tête dorée du dragon et la précipiter dans la mer sans n’être vue de personne.
Peu de temps après, Salsa revint au sanctuaire avec l'intention de jeter dans les flots le corps même de l'idole. Elle y réussit, mais la statue de bronze fit en tombant un tel bruit que les
gardiens accoururent. La populace s'empara de la jeune fille. Lapidée, percée de coups d'épées, piétinée, mise en pièces, elle fut enfin jetée à la mer, afin que son corps restât sans sépulture.
La mer reçut le corps comme dans un berceau ; elle ne l'accrocha pas aux roches, elle ne l'ensevelit pas au milieu des algues profondes, mais, le caressant doucement de ses vagues, elle le porta
jusque dans le port.
Presque à ce moment, un certain Saturninus, venant de Gaule, y jetait l'ancre par un temps calme. Mais tout à coup une tempête violente s'éleva et fit courir au vaisseau les plus grands dangers.
Pendant que Saturninus dormait, il reçut en songe l'ordre de recueillir le corps de la martyre qui se trouvait sous son vaisseau, et de lui donner une sépulture : sinon il périrait. A son réveil,
il crut à un rêve menteur et ne tint pas compte de cet ordre. Le lendemain et le jour suivant la tempête redoubla : les gens de l'équipage avaient perdu l'espoir de sauver le navire et ne
souhaitaient plus que leur propre salut. Saturninus reçut un second, un troisième avertissement. Il se décida enfin à obéir et se jeta dans la mer. Aussitôt, sa main guidée par Dieu toucha la
ceinture de la martyre : il prit le corps dans ses bras et reparut à la surface « rapportant du sein des flots cette précieuse perle du Christ ». Dès que l'air revit ce corps sacré, la mer
s'apaisa et les vents tombèrent. Saturninus et ses compagnons, rendant grâces à, Dieu, portèrent à terre le corps de Salsa qui fut enseveli dans une humble chapelle.
La nécropole :
En 1932, près de cinq cents tombes ont été découvertes. Cette nécropole est faite de sarcophages étroitement serrés les uns contre les autres.
Les sépultures chrétiennes qui se sont accumulées ensuite autour du tombeau de sainte Salsa sont semblables à celles des autres cimetières de Tipasa. Ce sont des
sarcophages de pierre qui, lorsqu'ils n'ont pas été déplacés, sont orientés, approximativement, le chevet vers l'Ouest. Ils sont pressés les uns contre les autres, sauf devant la façade de la
basilique où un espace libre a été réservé ; ailleurs la densité des tombes est telle que beaucoup d'entre elles ne sont accessibles qu'à condition de marcher sur les autres.
Dans tous les sarcophages, la cuve est monolithe et le couvercle aussi. Le couvercle, quand il n'était pas simplement posé sur la cuve, était fixé soit par un goujon de métal scellé au plomb, non
visible à l'extérieur, soit par des scellements métalliques à double queue d'aronde, appliqués extérieurement sur la jonction du couvercle et de la cuve : quelques-uns des goujons sont conservés,
mais les scellements extérieurs ont régulièrement disparu.
Ce cimetière peut remonter à la seconde moitié du IV° siècle et être resté longtemps en usage : dès que la basilique a été construite, les tombes se sont pressées au voisinage du tombeau de la
sainte, et les enterrements ont dû s'y continuer jusqu'à la ruine et l'abandon de la ville. Ce qu'il est intéressant de noter, c'est qu'on a enseveli là des fidèles (pèlerins) venus non seulement
d'Alger, mais du Sud de la Numidie, d'Italie et d'Asie Mineure.
Edifice funéraire :
A quelques mètres au Sud de la basilique, se trouve la ruine d'un petit édifice qui en était très probablement une dépendance.
Nous sommes en présence d'un édifice primitivement funéraire, affecté ensuite à la basilique comme dépendance lors des agrandissements et revenu, plus tard, à une utilisation purement
funéraire.
Cet édifice n'est pas orienté exactement comme la basilique (voir le plan).
Il se compose d'un couloir, d'une salle rectangulaire s'ouvrant au Sud sur ce couloir, et d'une abside s'ouvrant au Nord sur le même couloir. Il avait un étage supérieur.
L'abside s'ouvre de l'autre côté du couloir. Il est certain qu'elle est de la même époque que le reste de l'édifice, comme le prouve l'agencement des pierres. En avant de l'entrée, il y a deux
pilastres qui s'opposent symétriquement aux deux demi-colonnes placées à l'entrée de la salle rectangulaire : deux autres pilastres semblables sont placés à l'intérieur même de l'entrée de
l'abside ; les chapiteaux sont corinthiens. L'arc qui surmonte l'entrée est un cintre très surbaissé, en pierres de taille. Quant à l'abside elle-même, elle est construite en petites pierres
noyées dans du mortier. Elle était éclairée par trois petites fenêtres dont les cadres, en pierres de taille, présentent des feuillures.
Columbarium :
L'édification de la nécropole a débuté à l'époque païenne, ce dont attestent des tombes d'époques antérieures dont l'une des plus représentatives est le caveau punique débité dans la falaise qui a secondairement basculé dans la mer, ainsi que d'autres tombes païennes reconnaissables par leur forme en cupule semi-circulaires, et des columbarium qui sont des édifices sépulcraux destinés à recevoir des urnes cinéraires.
Pêle-Mêle
Sources
Textes :
"Algérie", Les Guides bleus, Hachette, 1977
Tipasa de Maurétanie, wikipedia.org
Edmond Frézouls, Le théâtre romain de Tipasa, In: Mélanges d'archéologie et d'histoire, tome 64, 1952
Eugène Albertini, Louis Leschi, Le cimetière de Sainte-Salsa, à Tipasa de Maurétanie. In: Comptes rendus des
séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 76ᵉ année, N. 1, 1932
Jean Lassus, Autour des basiliques
chrétiennes de Tipasa, In: Mélanges d'archéologie et d'histoire, tome 47, 1930
Serge Lancel, Tipasa en Maurétanie, In: Revue archéologique du Centre, tome 6, fascicule 3, 1967
Stéphane Gsell, Tipasa, ville de la Maurétanie Césarienne, In: Mélanges d'archéologie et d'histoire, tome 14, 1894
Texte/Plan :
Stéphane Gsell, Recherches archéologiques en Algérie, Ernest Leroux Editeur, 1893
Plans :
Tipasa de Maurétanie, Plan du site, jahiliyyah.wordpress.com
Frank Sear, Roman theatres - An Architectural Study, Oxford University Press, 2006
Photos : 1978 - 1990