SAQQARA
À Saqqara, un groupe de trois tombes a été mis au jour par Gaston Maspéro (1846-1916) et Alexandre Barsanti (1858-1917) devant la face Sud de la pyramide d’Ounas.
Chaque tombeau se composait d’un grand et d’un petit puits communicants, le grand puits étant occupé tout entier par la cuve du sarcophage autour duquel on bâtissait la chambre dans un second
temps. Le système du double puits permettait de descendre le lourd couvercle du sarcophage en le déposant sur du sable, qui était ensuite évacué par le petit puits.
L’une de ces trois tombes, datées par Gaston Maspéro de la fin de la XXVI° dynastie et du début de la XXVII° dynastie (milieu du VI°-début du V° siècle avant J.-C.), était celle du
médecin-chef Psammétique, qui était ornée d’inscriptions copiées des Textes des Pyramides.
La tombe de Psammétique (XXVI° dynastie)
Le personnage pour qui ce tombeau avait été préparé, un certain Psammétique, n'y reposa pas. Une stèle du Sérapéum, découverte par Mariette et conservée aujourd'hui au Musée du Louvre, nous apprend qu'il vivait sous Ahmasis.
Il vit probablement les derniers jours de l'indépendance égyptienne et peut-être mourut-il dans la grande bataille de Péluse, en -525 (Cambyse II, roi achéménide de l'empire Perse, contre le
pharaon Psammétique III) ; on comprendrait alors que, son corps n'ayant pas été recouvré au milieu du désordre général qui suivit la défaite, on ait laissé son tombeau inachevé.
La tombe de Psammétique (XXVI° dynastie)
Au fond d'un puits d'environ 25 mètres, le caveau de Psammétique fait face à celui de la dame Setariban (qui fut peut-être son épouse). Celui-ci fut aménagé avec soin et l'on y pénètre par un couloir , long de 5 mètres et revêtu de calcaire. La chambre funéraire est construite en calcaire comme le couloir. Elle mesure 5,20 mètres de long sur 2,68 mètres de large et 3,50 mètres de haut. Elle est recouverte d'une voûte en plein cintre, et la première chose que l'on distingue en y pénétrant, c'est un énorme couvercle de sarcophage en calcaire qui semble l'emplir presque entière. Il a 1 mètre d'épaisseur et une seule bande horizontale d'hiéroglyphes y est gravée. Il est maintenu au-dessus de la cuve par des piliers consistant chacun de trois dés, également en calcaire, d'environ 30 centimètres de haut, le tout faisant un peu moins d'un mètre. Ces piliers sont posés à intervalles égaux sur les parois mêmes de la cuve. La cuve du sarcophage en calcaire occupe tout l'intervalle compris entre les murs de l'Est, de l'Ouest et du Nord, et elle s'agence si bien dans la construction qu'on ne pourrait faire mieux aujourd'hui. Elle mesure 4,20 mètres de long, 2,20 mètres de large et 1,05 mètre de hauteur. Elle contient un second cercueil en basalte, en forme de gaine de momie, d'un travail très fin, et qui porte sur la poitrine une inscription en colonnes verticales ; la cuve en était vide, et le couvercle posé au-dessus d'elle, en attendant la momie du mort. Au Nord, à l'Est et à l'Ouest, trois niches ménagées dans la muraille devaient recevoir les canopes. Elles ouvrent sur le sarcophage en calcaire. Les quatre parois de la chambre portent des inscriptions en beaux hiéroglyphes mais, tandis que celle du Sud en est couverte complétement, celles de l'Est, du Nord et de l'Ouest ne sont gravées qu'à mi-hauteur. La partie inférieure en était masquée par le couvercle, et l'on attendait que celui-ci eût été descendu pour achever la décoration. La disposition du grand sarcophage en calcaire, et celle du couvercle en basalte, prouvent clairement que la momie n'a jamais reposée dans le tombeau.
Alexandre Barsanti
La tombe de Psammétique (XXVI° dynastie)
L'immense sarcophage eu calcaire compact est encore là, béant presque au ras du sol, et une cuve en basalte noir est encastrée dans la masse, son couvercle momiforme posé négligemment en travers. Au-dessus, le couvercle du sarcophage en calcaire est suspendu sur sept piliers en pierre, attendant la momie qui ne viendra jamais. Tout avait été pourtant préparé avec soin pour qu'elle y jouit du repos, à l'abri des injures du temps et des hommes.
Les carriers avaient commencé par creuser dans le roc vif un puits rectangulaire, dont chaque côté mesurait plus de dix mètres, et ils l'avaient descendu à plus de trente mètres de profondeur. Tout au fond, dans. l'axe Nord-Sud et à un mètre seulement de la paroi méridionale, ils avaient établi le sarcophage en calcaire massif, et ils avaient édifié autour de lui la chambre en maçonnerie, voûtée pour résister au poids des matériaux qui devaient la recouvrir plus tard ils avaient poussé la précaution jusqu'à ménager dans la voûte un jour carré, par lequel le sable pourrait dévaler dans la chambre lorsque, les funérailles étant terminées, le dernier ouvrier la quitterait. Cependant, un puits étroit, celui par lequel M. Barsanti descendit, avait été percé au Sud du grand puits, et mis en communication avec la chambre au moyen d'un couloir c'est par là que la momie devait aller rejoindre son sarcophage au jour fatal, et que les vivants se retireraient après avoir accompli les rites et pris les précautions suprêmes. Les deux puits une fois comblés et leur affleurement au sol dissimulé sous une couche de sable, les parents avaient le droit de croire que leur mort échapperait longtemps aux investigations des voleurs : de fait, le puits a gardé son secret pendant près de vingt-cinq siècles.
Un problème de mécanique égyptienne
Pendant mon séjour au Caire, j’ai consacré une journée à la visite de plusieurs monuments de la nécropole de Saqqarah.
Les fouilles qui y sont exécutées actuellement se font principalement auprès de la pyramide du roi Ounas, de la V°
dynastie, sous la direction de M. Alexandre Barsanti, conservateur-restaurateur du service des antiquités. Parmi les monuments découverts, trois présentent des particularités qui me paraissent
suffisamment intéressantes pour en entretenir pendant quelques instants la Société d'Archéologie : il s'agit des trois grands tombeaux de la XXVl° dynastie, tombeaux de
Psammétique, Setariban et Pèténisis. Une des choses qui étonnent le plus les voyageurs et les savants, en présence des gigantesques monuments égyptiens, est de voir que les
anciens habitants de la vallée du Nil sont parvenus, malgré le manque absolu des forces que la science a mises actuellement au pouvoir de l'homme, à transporter des masses énormes de pierres et à
les conduire à leur place définitive dans la construction, avec une étonnante précision. Nombreuses sont les hypothèses que l'on a bâties péniblement à ce sujet, hypothèses qui ne résistent pas à
l'observation rigoureuse des monuments. Ici, à Saqqarah, heureusement, nous pouvons saisir sur le fait un des procédés de construction et voir l'aide immense que les Anciens ont tirée de l'emploi
judicieux du sable.
Comment les contemporains de la XXVI° dynastie s'y prenaient-ils pour cacher la momie d'un mort de distinction?
On commençait par creuser dans le rocher un puits d'environ 8 mètres de diamètre, et descendant à environ trente mètres de profondeur. A 2 ou 3 mètres plus au Sud on creusait un nouveau puits
de même profondeur, mais beaucoup plus étroit (environ 1,50 mètre de diamètre). Une galerie réunissait à la base les deux puits. Ces travaux préliminaires terminés, commençait la construction de
la tombe proprement dite.
La première partie à descendre dans le grand puits était le sarcophage en pierre, qui mesure ici, dans un des tombeaux, celui de Psammétique, 4,20 mètres de long sur 2,20
mètres de large, le couvercle ayant une épaisseur de 1,05 mètre. Le couvercle ne se plaçait pas directement sur la cuve, mais était soulevé sur plusieurs supports en maçonnerie, attendant
l'arrivée de la momie avant d'être descendu. À l'intérieur de ce premier sarcophage on en trouve un second, en basalte, en forme de gaine de momie. A l'entour et au-dessus de ces sarcophages on
bâtissait la chambre sépulcrale en blocs de calcaire. La chambre était voûtée et, à peu près vers le milieu de hauteur, se trouvait le gigantesque couvercle supporté sur ses piliers. On sculptait
alors les inscriptions de la partie supérieure de la chambre, le couvercle formant échafaudage.
La momie en place, introduite par le petit puits, il suffisait de faire descendre le couvercle pour que celui-ci forme plancher de la chambre et préserve le mort contre toute violation. Il
était temps alors de sculpter le restant des parois. Une lucarne était réservée dans la voûte, de manière à ce que le remblaiement du grand puits vienne remplir également de sable la chambre
funéraire. Si, maintenant, des voleurs essayaient de venir piller la tombe par le petit puits, qu'arrivait-il ? Ils rencontraient d'abord l'une ou l'autre herse de pierre placée dans le couloir
au moment de l'achèvement des travaux. La herse rompue, 2000 mètres cubes de sable, d'une merveilleuse fluidité, s'opposaient à ce que l'on vide la chambre et constituaient même pour les
violateurs un grave danger de périr enfouis sous ce torrent violent. Et c'est ce qui faillit, du reste, arriver à M. Barsanti et à ses fouilleurs.
Mais, et c'est là le point le plus intéressant, comment faisait-on descendre en place le lourd couvercle, occupant si exactement l'espace de la chambre, du moins sur trois de ses côtés, qu'il
était impossible de songer à l'emploi de leviers ou autres engins quelconques?
Voici comment les Égyptiens ont résolu la difficulté, de façon très simple. Le couvercle était muni de quatre oreilles qui étaient engagées dans quatre rainures ménagées dans la paroi et
descendant plus profondément que le niveau de la cuve du sarcophage. Ces quatre rainures étaient remplies, à peu près jusqu'au niveau des bords de la cuve, de sable fortement comprimé, sur lequel
venaient poser quatre blocs de bois résistants occupant tout l'espace compris entre le niveau du sable et les oreilles du couvercle. Cet appareil en place, on peut sans inconvénient faire
disparaitre les supports de maçonnerie. Maintenant il suffira de retirer également des quatre côtés et peu à peu le sable par en dessous pour que le couvercle descende exactement à sa place en
enfermant dans les rainures les quatre poutres de bois. Dans ce but, des deux côtés de la chambre, entre les deux rainures, on avait ménagé une cavité assez grande pour qu'un homme puisse y
prendre place, et assez grande pour qu'une fois le couvercle en place, il puisse sortir de la cavité. Cette dernière communiquait avec la partie inférieure des deux rainures.
Une niche analogue dans une des petites parois servait à celui qui commandait la manœuvre. Les hommes à leur poste et au commandement, on retirait le sable petit à petit et le couvercle
descendait exactement à la place qui lui était assignée. C'est dans les niches qu'on déposait enfin les vases canopes.
L’exactitude de l'explication donnée par M. Barsinti, pour éclairer les bizarreries de plan de chambre, a été d'ailleurs confirmée par la découverte, en place, prises dans le mur, des quatre
poutres de bois.
Tel est le petit problème de mécanique égyptienne que je tenais à vous soumettre, en exprimant le vœu que la continuation des fouilles de M. Barsanti nous en fasse connaître encore l'un ou
l'autre du même genre. Peu de découvertes, en effet, sont plus aptes à nous donner une meilleure idée de l'esprit pratique des Égyptiens, esprit qui leur a permis de construire des monuments qui
surpassent tout ce que l'homme a pu édifier de plus grand dans aucune contrée du monde.
Jean Capart
Pharaons de la XXVI° dynastie
Pharaon | Dates de règne | |
1 | Ammeris | -715 -695 |
2 | Stephinates ou Tefnakht II | -695 -688 |
3 | Nechepso ou Nekaub | -688 -672 |
4 | Néchao I | -672 -664 |
5 | Psammétique I | -664 -610 |
6 | Néchao II | -610 -595 |
7 | Psammétique II | -595 -589 |
8 | Apriès | -589 -570 |
9 | Amasis | -570 -526 |
10 | Psammétique III | -526 -525 |
Sources
Textes :
Culture matérielle et appartenances ethniques : quelques questions posées par les nécropoles d’El-Deir (oasis
de Kharga, Égypte), Gäelle Tallet, Dialogues d'histoire ancienne. Supplément n°10, 2014
Etudes de mythologie et d'archéologie égyptiennes, Gaston Maspero, Volume VII, pages 221-223, Ernest
Leroux, 1913
Liste des Rois de la XXVI° dynastie, antikforever.com
Un problème de mécanique égyptienne, Jean Capart, Annales de la société d'archéologie de Bruxelles,
Tome XV, pages 232-235, A. Vromant & Cie, 1901
Texte/Plan :
Les tombeaux de Psammétique et de Setariban - Rapport sur la découverte, Alexandre Barsanti, Annales du
Service des antiquités de l'Égypte, Tome 1, pages 161-166 , 1899
Plan :
Sakkara map, ask-aladdin.com
Photo : 1981